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27 septembre 2020

Démêlés

Il y a deux semaines, écrivant sur les mots mêlés, je croyais traiter d'un objet si mineur qu'il était naturellement exclu du champ de l'art. Quel écrivain, quel cinéaste, pouvait s'attacher en effet à si insignifiant ? Quelques jours ont passé, au cours desquels je n'ai pas vu un film, pas terminé un livre et regardé que trois épisodes de série : il faut croire que je suis un homme de mon temps — mais avec un léger décalage tout de même puisque la série en question est The Wire et qu'elle date de 2002. Eh bien, quelle ne fut pas ma surprise dans le premier de ces épisodes de découvrir qu'un des personnages, l'inspecteur Pryzbylewski, incompétent pistonné qui n'est pas même une brute mais qui la contrefait, remplit dans un plan une grille de ce jeu. La caméra ne s'attarde pas, mais elle montre distinctement les mots entourés au stylo. Le personnage est un boulet pour l'équipe, on le cantonne au bureau où son pouvoir de nuisance est moindre et voilà comment cet esprit limité passe son temps. J'admirais la trouvaille : comment mieux caractériser un personnage et sa situation que par ce détail ? Et j'admirais que la série descende si bas, que son souci de réalisme ne se limite pas aux cités de Baltimore et à leurs trafics, qu'elle aille chercher de l'apparemment insignifiant et que, simplement en montrant, elle sorte le sens de sa gangue — je pensais à Bellamy de Chabrol, à la scène de la carte de fidélité du magasin de bricolage, objet de notre quotidien qu'on n'avait jamais montré au cinéma. Mais dans un épisode suivant de The Wire, Pryzbylewski décrypte le codage basique utilisé par les dealers, en expliquant que c'est son habitude des mots mêlés qui lui a permis l'élucidation. C'est horriblement tiré par les cheveux, et c'est surtout décevant : l'insignifiant n'était que du sur-signifiant à venir, et encore dans l'ordre de la diégèse, car dans celui de la création l'apparition de la grille des mots mêlés ne devient qu'un vulgaire truc ajouté a posteriori par calcul. Le réel de la mimèsis n'était en fait que de la fiction. En quoi est-ce ici décevant ? Parce que si les deux lectures sont compossibles, leurs effets ne le sont pas : ces beautés ne s'ajoutent pas, elle s'annulent. Je pense à François Roustang qui note dans Qu'est-ce que l'hypnose que l'interprétation du rêve « nous fait sortir de l'état de rêveur pour nous faire revenir à la conscience de la veille. Il est possible, en mettant les choses au mieux, que nous ayons découvert la signification du rêve, mais nous nous sommes exclus de son moteur. » Si l'on croit comme je le fais à la parenté du rêve et de la fiction, on comprend que toute série souffre d'une tare congénitale : les interruptions, comme autant de réveils, de sa continuité temporelle. Je suis  incapable de dire combien d'épisodes se sont intercalés entre les deux événements, mais je sais que le ravissement de la fiction a été interrompu, que les puissances du rêve ont été domptées. L'astuce des scénaristes est admirable, on l'admire, et c'est donc qu'on la voit : le charme est rompu. 

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