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planes
20 septembre 2020

Flipper

Elle devait avoir la cinquantaine. Elle était californienne, mais sans ostentation : pas de fitness, pas de chirurgie, peu d'artifices. Je suppose qu'elle mangeait du muesli et faisait du yoga, les craquements des articulations et les bruits de mastication couverts par de la musique new age. Elle demandait à chacun, dès l'abord, de l'appeler par son prénom. Je l'avais fait sans difficulté, pas mécontent de n'avoir pas à lui donner du « docteur » ; je n'ignorais pas qu'elle était un des plus grands pontes de la delphinothérapie. Elle faisait nager ensemble dans un bassin des dauphins et des malades. Elle avait commencé à soigner ainsi des enfants autistes, puis avait peu à peu étendu la cure aux handicapés mentaux puis moteurs, aux psychotiques, aux dépressifs, et finalement à quiconque était disposé à payer les quelques milliers de dollars que coûtaient les bains. Elle s'était assez vite rendu compte que ces rencontres étaient plus bénéfiques aux dauphins qu'aux patients, qu'ils développaient auprès de ces êtres diminués des comportements rudimentaires proprement humains, et qu'ils se débarrassaient même, à leur contact, d'un possible complexe d'infériorité originel. « Tout le monde y trouve son compte », se consolait-elle, jusqu'au jour où un dauphin réclama un peu plus et entreprit de violer une adolescente trisomique. Le drame fut évité de justesse, l'adolescente n'en sortit pas traumatisée, des tests psychologiques montrant même une certaine consolidation de sa confiance en soi, flattée qu'elle était de s'être sentie pour la première fois désirée. L'affaire fut étouffée. La cote de sympathie des dauphins préserva le mâle d'une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux : on n'a jamais abattu un dauphin pour l'exemple. La Californienne engagea un soigneur pour repérer les signes d'excitation chez les dauphins et intervenir en cas de comportements inappropriés. Elle refusa un temps de soigner les trisomiques, qu'elle suspectait depuis l'incident d'être spécialement du goût des dauphins, mais de peur que ce refus passât pour discriminatoire, elle fit donner aux animaux, chaque fois que la rencontre avait lieu, un traitement qui tenait de la castration chimique temporaire.

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