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24 janvier 2021

L'homme le plus intelligent de son époque

     « Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679) est un homme d'une autre envergure. S'il n'avait pas écrit ses Mémoires après 1671, on le rangerait parmi les écrivains de Louis XIII auquel sa vie, son style et son esprit le rattachent. Le cardinal de Retz est tout entier dans la Fronde et les intrigues politiques où il se meut avec une subtilité démoniaque. Frondeur, nommé cardinal par la cour, emprisonné à Vincennes et à Nantes, nommé archevêque de Paris, évadé, traitant des affaires à Rome, discutant avec le pouvoir, excitant le peuple, animé d'ambitions puissantes, le cardinal de Retz est le type même de l'homme de parti. Ses manœuvres politiques se sont terminées par un échec total et bienfaisant pour la France. Mais Retz avait bouleversé Paris et inquiété la Régence par son intelligence, sa popularité et ses allures intrépides. Il dépasse de beaucoup La Rochefoucauld comme agitateur et comme homme d'action. Il le dépasse aussi par son imagination et sa flamme.
     Le cardinal de Retz rappelle La Rochefoucauld par son art des formules brèves et saisissantes et La Bruyère par son goût pour les portraits, mais il est impossible de revenir vers ces deux écrivains lorsqu'on s'est une fois plongé dans les Mémoires. Le cardinal de Retz est peut-être l'homme le plus intelligent de son époque et son intelligence fuse en traits de feu. Son cynisme, son insolence, sa démarche libre, hautaine et détachée, le négligé follement élégant de son style, en font un écrivain sans rival, auprès de qui Voltaire paraît terne et les Encyclopédistes des nigauds enrhumés. Paul de Gondi est un polémiste terrible : d'un seul regard, il perce son adversaire jusqu'au fond de l'âme, puis il l'étourdit, le scalpe et l'écartèle, au milieu d'une fête éblouissante d'images et de mots. Tantôt il abandonne une formule angoissante comme celle qui termine le portrait de Richelieu : « Il avait assez de religion pour ce monde », tantôt il s'empare du ridicule et compose un pastiche du duc de Beaufort qui est d'un comique prodigieux. En lisant ses « Mémoires », on rit, on admire, on se trouble. Machiavel fait tout aussitôt figure d'un enfant et on comprend Richelieu qui, après avoir lu L'Histoire de la conjuration de Fiesque, prononça un mot d'une simplicité significative : « Voilà un dangereux esprit. » Cela était fort bien jugé.
     Retz est un conteur pétillant et emporté. Il n'a pas son pareil pour conduire un récit plein de fantastique, d'entrain et d'ironie victorieuse. Il parle de l'amour comme de la politique et des femmes avec une grâce dont la politesse raffinée atteint au comble de l'insolence. Mais c'est encore dans le portrait qu'il triomphe. Ceux qu'il a faits de Richelieu, de Mazarin, d'Anne d'Autriche, de Condé, de Turenne, de Mme de Longueville, de Mme de Chevreuse, sont des chefs-d'œuvre de psychologie profonde et cruelle. Jamais aucun écrivain n'a composé de portraits dignes de soutenir la comparaison avec ceux-là, riches, comme il le dit lui-même d'une femme charmante, de « réveils lumineux et surprenants ». Le cardinal de Retz trouve en courant des images d'une poésie matinale ou souterraine, ruisselantes de plaisir et d'amour ou frissonnant dans un silence d'outre-tombe. Le jeune révolutionnaire sans scrupules, rompu à toutes les ruses de la politique, et l'homme rêveur et mélancolique, ami de Mme de Sévigné, de Mme de La Fayette, capable d'impressionner Bossuet lui-même, semblent s'être donné la main, pour écrire ces Mémoires, où quelques unes des expériences les plus passionnantes qu'il soit possible de faire en ce monde sont dévoilées sur un ton de supériorité inimitable par l'un des plus grands écrivains de notre langue. »

Kléber Haedens, Une Histoire de la littérature française.

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