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23 décembre 2019

Lubies

Le premier jour de l'hiver, rituellement, je lis Le Vent d'hiver, de Roger Caillois. Cette fois, je note : « Le champ est libre pour les plus aptes : nul encombrement des chemins pour gêner leur marche, nul gazouillis mélodieux et innombrable pour couvrir leur voix. » Cela m'évoque Twitter.

Aujourd'hui je lis le Cahier de l'Herne consacré à Houellebecq. Nelly Kaprièlian cite dans un texte des extraits de La carte et le territoire, de tous ses romans récents celui que je préfère. « La gazouillement des oiseaux s'amplifia brusquement, puis se tut. » Olga vient d'annoncer à Jed Martin qu'elle rentrait en Russie, les oiseaux se taisent comme pour lui laisser la parole, mais il ne saisit pas l'occasion de la retenir.

Dix ans plus tard, Jed Martin revoit Olga, mais le moment est passé : « Olga était douce, elle était douce et aimante, Olga l'aimait, se répéta-t-il avec une tristesse croissante en même temps qu'il réalisait que plus rien n'aurait lieu entre eux, la vie vous offre une chance parfois se dit-il mais lorsqu'on est trop lâche ou trop indécis pour la saisir la vie reprend ses cartes, il y a un moment pour faire les choses et pour entrer dans un bonheur possible, ce moment dure quelques semaines ou même quelques mois mais il ne se produit qu'une seule fois et une seule, et si l'on veut y revenir plus tard c'est tout simplement impossible, il n'y a plus de place pour l'enthousiasme, la croyance et la foi, demeure une résignation douce, une pitié réciproque et attristée, la sensation inutile et juste que quelque chose aurait pu avoir lieu, qu'on s'est simplement montré indigne du don qui vous avait été fait. »

Caillois, dans Le Vent d'hiver, cite le cardinal de Retz : « Je ne sçai si je n'ai pas déjà dit dans cet ouvrage que ce qui a le plus distingué les hommes, est que ceux qui ont fait les grandes actions ont vu devant les autres le point de leur possibilité. » Retz ailleurs dans les Mémoires précisent : « Il n'y a rien dans le monde qui n'ait son moment décisif, et le chef-d'œuvre de la bonne conduite est de connaître et de prendre ce moment. » Qui a discerné le kairos doit encore parvenir à le saisir par les cheveux.

 

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