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12 mars 2019

Par l'événement

« J'ai donc examiné, pour mieux juger des choses présentes, tout ce qui s'est dit des passées depuis le commencement des premiers troubles ; j'ai considéré très exactement la conduite de ceux qui ont eu le plus de part dans ces affaires, et qui ont joué les premiers personnages dans ces tragédies si funestes à l'État. J'ai particulièrement arrêté mes pensées sur Monsieur le Prince et sur M. le cardinal de Retz, qui sont les deux personnes qui ont, ce semble, donné le mouvement à toutes les autres, et, après une recherche soigneuse et exacte, j'ai trouvé que tout ce que l'on a dit contre M. le cardinal de Retz s'est trouvé faux par l'événement, et que tout ce que l'on a dit contre Monsieur le Prince, par le même événement s'est trouvé véritable. »

Autre libelle, « Le Vrai et le Faux de Monsieur le Prince et de Monsieur le cardinal de Retz », dans lequel Retz use du même procédé d'attribution à un tiers qui lui tresse des couronnes. Ce tiers impartial est une fiction, qui permet une autre fiction, celle du parallèle avec Condé, prince de sang, génie militaire, incarnation du héros. Retz, comme toute la jeunesse bien née de son siècle, a grandi en lisant Plutarque. Rappelons que son chef d'oeuvre, que nous avons pris l'habitude de nommer Mémoires, portait originellement le titre de Vie du cardinal de Rais. Dans ce livre, Retz identifie enfin auteur et narrateur, mais crée un personnage de fiction : la destinataire. Ce coup de génie rhétorique lui permet de persuader sans en avoir l'air le lecteur, qui ne se méfie pas : l'auteur ne s'adresse pas directement à lui, et d'ailleurs la destinataire, discrète quoiqu'ominiprésente, semble déjà convaincue.

Le vrai et le faux, objets du libelle, semblent intéresser Retz, mais il les considère, selon une expression qu'il affectionne, « par l'événement » ; or, l'événement, s'il est incontestablement pour le cardinal du réel, souffre d'une tare qui le galvaude : il est passé. L'événement est ce qui a déjà eu lieu, et cela ne lui fait conserver pour Retz de valeur qu'informative, utile dans la mesure seule de l'action à venir, du kairos à saisir. Le vrai et le faux sont ainsi des valeurs relatives, car constamment à réactualiser. Un mauvais pli nous incline à considérer ce relativisme avec méfiance. Pourtant, il ne fait vaciller que l'assise du vrai, pas de celle du bien. Ajoutons que le relativisme ne peut par essence être absolu, ce qui le dispense de bien des excès. La Fronde est une période trouble et passionnante, s'y affrontent un pouvoir momentanément vulnérable, mais sur le point de devenir absolu, une bourgeoisie partagée entre l'obéissance et la défense de ses prérogatives parlementaires, et une aristocratie frivole, suspecte de « girouetterie », mais non dénuée de grandeur et de vertu. Retz en est, malgré les calomnies, l'un de ses plus ambitieux représentants, moderne sophiste passionné d'aretê, c'est-à-dire d'excellence.

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