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planes
12 mai 2008

Les Neiges d'antan (Terminal Frigo)

Depuis deux ans que je passe la majeure partie de mon temps au Havre, je n'avais jamais entendu parler du quartier des Neiges. J'ai découvert son existence en lisant Terminal Frigo de Jean Rolin, ému d'y trouver décrits avec précision d'anodins lieux de passage quotidien, théâtres de faits divers dont j'ignorais tout. Quand j'ai interrogé des Havrais sur le quartier des Neiges, ils n'ont su que me montrer un lointain au-delà des docks et une affectation de dégoût.
Pour me rendre aux Neiges, il m'a fallu traverser ponts mobiles et quartiers industriels sans fin, avec pour points de mire les gigantesques portiques à containers. Dans le quartier voisinent immeubles HLM plutôt bas et pavillons assez séduisants, construits de bric et de broc. Je croise peu d'êtres vivants, quelques hommes indécemment allogènes, quadrillant le quartier, dont je ne parviens pas à déterminer s'ils sont Témoins de Jéhovah, sondeurs ou militants en campagne, des chiens, deux foulques qui plongent avec une grâce de nageuse et une régularité de métronome — toutes les 43 secondes, je les vois reprendre leur souffle —, une jeune femme qui boite. Je n'ai jamais vu autant boiter qu'au Havre, et pas de la légère claudication à laquelle condamne une fracture mal réparée, mais de boiteries fantasques et natives : boiter avant même de savoir marcher, voilà une vocation. Tous ces gens qui boitent dans la rue me consolent et me réjouissent, me rappellent que l'histoire n'a pas été totalement évacuée de ce monde, car un monde sans boiteux est un monde sans histoire aussi sûrement qu'un monde sans nain est un monde sans merveilleux. Une mouette unijambiste comme en écho se pose près de moi et entreprend de nettoyer la carapace verdâtre d'un crabe. Elle finit par renoncer, je cale en espérant qu'elle reviendra la carapace entre deux pavés disjoints. L'air sent sacrément l'empyreume.
Le quartier tient son nom de l'église Notre-Dame-des-Neiges, dédiée à cette apparition qui sauva au XIIIe siècle des pêcheurs pris dans une tempête de neige. Plus tard, on implanta dans les environs le lazaret, bâtiment qui accueillait les marins mis en quarantaine, mais par une étrange contagion, c'est tout le quartier qui semble aujourd'hui condamné à l'isolement et à l'insularité, cerné par les bassins et les canaux, dévoré par un port en constante extension. Après la Seconde Guerre Mondiale, la municipalité a été tentée de ne pas reconstruire le quartier pour partie détruit et de le remplacer par une zone portuaire ; heureusement on avait été aux Neiges largement résistants. En 1994, c'est le classement en zone Seveso qui a failli lui être fatal, mais les habitants ont réussi à obtenir son annulation. Depuis longtemps la plage Pouilleuse n'existe plus, on ne vient plus en famille voir deux fois l'an passer le mascaret, quelques uns toutefois se battent pour conserver leur gabion et pour que les Neiges demeurent, les Neiges et autre chose que je suis bien incapable de nommer, quelque chose à l'évanescence tragique qui se révèle au moment même où il s'efface.

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Commentaires
P
Le quartier bouge en effet et c'est ce que je regrettais.<br /> Mais vous avez raison, je connais bien mal le quartier des Neiges et je prie ses habitants de bien vouloir pardonner mes erreurs.
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M
moi je trouve votre texte scandaleux pour les neigeois, déjà en premier nous ne sommes pas au fin fond du monde qu'appeller vous quartier industriel sans fin? vous prenez le boulevard de graville et vous êtes au neiges par le petit port vous mettez 10 mn et encore et nos pavillons sont pas construits de bric et de broc beaucoup sont construits comme dans tous les quartier de brique ou de parpaingavec de grand terrain très joliment décoré Nous partipons tous les ans aux décorations de Nöel avec le concours de la ville du Havre et encore cette année une abitante a eu un prix pour ses illuminations (75 habitants participent)l j'ai l'impression que l ont se trouve au fin fond d'un quartier de spectiférés<br /> Vous ne savez sans doute pas vue vos propos difamatoire que c'est le plus vieux quartier du Havre et que toutes les personnes qui y vivent ne sont pas des boiteuses comme vous le dîtes Notre quartier est en pleine transformation et cela pas gâce à des personnes comme vous qui le critiquer sans arrêt et sans le connaître <br /> J'ai déménagé souvent ,et c'est la première fois que je trouve un quartier aussi solidaire et humain le seul problème c'est que nous manquons de commerces <br /> Alors revenez faire un tour sans vous perdre oublier pas votre masque car on c'est jamais vous pourriez attrapez des maladies vue que nous sommes tous petiférés et vous verrez que le quartier bouge !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! allez courage
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H
Très beau texte. Habitant aux Neiges, je ne peux qu'être émue devant la triste vérité que vous racontez...
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P
"Mais comment voulez-vous que j'écrive un livre ? dit Ulrich. Je suis né d'une femme, non d'un encrier !"<br /> Je publie ici, et c'est déjà trop ! <br /> Votre éloge est démesuré, mais il m'a fait plaisir. Merci.
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D
Superbe texte.<br /> Plus dépouillé que d'autres notes précédentes, et plus percutant.<br /> Est-ce que vous publiez ?<br /> J'aimerai beaucoup lire du Planes sur papier.<br /> Amicalement,
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planes
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