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27 juillet 2019

Tombeau

Dans le petit volume que je possède, publié en 1854, Olivier est suivi d'un plus court récit, Pour les pauvres. Le narrateur s'y rappelle le temps où, jeune homme, il partit en carriole, accompagné de son ami Jacques, visiter le Sud de la France. Le voyage toujours est source d'aventures. Pourtant : « Moi, mon ami, tout au rebours, et je crois sérieusement que je ferais le tour du monde sans apercevoir la queue d'une aventure. » C'est dit : rien ne va se passer, et comment par astuce donner couleur plus réaliste ? Qui inventerait un récit sans histoire ? À Carpentras, nos deux voyageurs arrivent en pleine animation. Un concert de charité a été organisé par les bourgeois de la ville, moins pour gâter les pauvres que pour faire sortir de sa prison dorée la mystérieuse châtelaine, une prima donna que le comte de R... épousa, faute d'avoir pu en faire sa maîtresse. Après une intéressante digression sur les progrès récents de la musique en province, les premières parties musicales se succèdent, notre impatience grandit. Mais la comtesse se décommande, et l'obole qui accompagne son mot d'excuse excite plutôt qu'elle ne l'apaise la furie des spectateurs. Alors une jeune fille paraît, tel un ange, et chante merveilleusement : « Elle disait, sur un ton doux et grave, le charme des nuits sereines, les mutuelles tendresses à la clarté des astres d'argent, la barque sillonnant en silence le miroir du lac endormi, et moi, la tête entre mes mains, je voyais, comme dans un rêve, les montagnes d'azur au travers des roses vapeurs du couchant ; je respirais les parfums du soir, j'entendais s'éveiller les brises, et les soupirs amoureux se mêler au murmure de l'onde et au frissonnement du feuillage. »

La jeune fille disparaît après son triomphe, sans qu'on sache qui elle était. Le voyage continue, mais le cœur ne suit plus, et de retour à Paris il a une idée fixe : courir les salles de concert pour retrouver l'étrangère à la si belle voix. Enfin, un soir, il la retrouve en Desdémone, et le lecteur s'étonne de voir qu'il ne reste plus que quelque lignes au récit. Vont-ils s'aimer ? Avait-elle un lien avec la comtesse de R. ? Il faut bien une chute ; ce sera une chute dans le réel. La chanteuse est Marie Malibran, et les dernières phrases qui suivent cette révélation sont pour déplorer sa mort précoce. Nous sommes revenus dans la réalité, là où l'on meurt, mais le récit n'a pas été sans profit. La Malibran n'était pour moi qu'un nom, comme la Taglioni ou la Pavlova, qui désignait un personnage bien vague, aux dons incertains. Le récit de Sandeau me la rend plus présente que le poème que lui a dédié Musset après sa mort. Les pleurards, les rêveurs à nacelles, les amants de la nuit, des lacs, des cascadelles, quand ils savent raconter, ont des ressources insoupçonnées des poètes.

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