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16 février 2011

Vilain petit canard

    « Et les danseuses, quelle triste population ! c'est une laideur, une misère, une pauvreté de formes à faire pitié : elles sont maigres comme des lézards à jeun depuis six mois ; et quand on les regarde sans lorgnette au plus fort de leur danse, leur buste, à peine perceptible dans le frêle tourbillon de leurs bras et de leurs jambes, leur donne l'apparence d'araignées qu'on inquiète dans leurs toiles, et qui se démènent éperdument. Je ne sais si vous vous êtes avisé de faire une étude spéciale du cou et de la poitrine d'une danseuse ; les clavicules éclairées en dessous font une horrible saillie transversale où viennent s'attacher, comme des cordes de violon sur leur chevalet, quatre à cinq nerfs tendus à rompre, sur lesquels Paganini aurait joué facilement un concerto. Le larynx, rendu plus sensible par la maigreur, fait une protubérance pareille à celle que fait au cou d'une dinde une noix avalée tout entière, et c'est en vain qu'on chercherait dans la plaine de leurs charmes la moindre rondeur ayant rapport avec ce que messieurs les poètes nomment dans leur jargon les collines jumelles, les deux petits monts de neige et autres belles expressions plus ou moins anacréontiques. Quant aux membres inférieurs, ils sont d'une grosseur tout à fait disproportionnée, de sorte qu'il semble que l'on ait vissé le corps scié en deux d'une petite fille phtisique sur les jambes d'un grenadier de la garde. »

Théophile Gautier, « Les danseurs espagnols », in Fusains et eaux-fortes.

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