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planes
8 août 2019

Préface

Le plaisir que je prends à feuilleter un livre fraîchement acquis est d'une essence neuve : je lis quelques courts passages, au hasard, comme on grappille, et c'est moins pour me mettre en appétit que par une gourmandise assumée. À mon âge, je sais désormais que le temps m'est compté, celui que les enfants me laissent, et la fatalité ; la plupart des livres que j'achète, je ne les lis pas, et je ne les lirai peut-être jamais.

Paul Valéry, Variété II. Le recueil se prête bien à cette activité de grappillage, et l'intelligence toujours aiguë de Valéry garantit la prise. Une préface aux Lettres persanes attire mon attention (j'aime beaucoup Montesquieu), sans pour autant la gagner, par fidélité peut-être à la préface de Paul Morand qui ouvrait l'édition de poche des années 60. J'aimais sa couverture, la couleur de sa tranche, le parfum de ses pages, la pensée que ma mère, jeune étudiante, avait goûté avant moi ces plaisirs. Je l'ai lu pour la  première fois à peine adolescent, moi qui reste souvent songeur devant les souvenirs de lecture de mes semblables, que j'hésite même à désigner ainsi tant leur précocité intellectuelle me les rend étrangers, et je ne me souviens pas m'être senti écrasé, comme si l'intelligence de Montesquieu s'était doublée d'une sorte de gentillesse, de sympathie, d'une qualité qui fait les meilleurs hôtes et dont on dit : "il sait vous mettre à l'aise".

C'est la première fois que je rencontrais le nom de Caillois, auteur des notes, mais la rencontre, bénigne et prématurée, n'a laissé aucune trace, comme un qui découvre que la femme dont il est amoureux était enfant dans la même école, peut-être dans la même classe que lui, et qui n'en garde aucun souvenir ; cela lui semble incroyable, scandaleux même, car il veut l'avoir aimée de tout temps, mais s'il a tiré profit de la lecture de la Recherche, il redeviendra raisonnable. Enfin, je lisais ce livre en été, sur la plage, et quelques grains de sable en attestent sans doute, emprisonnés entre ces pages comme en un sérail. Le plaisir de lecture était aussi physique, et les souvenirs de ce genre sont les plus consistants. Mais j'ai fait trop long, mes fils se réveillent déjà, je dirai un jour prochain comment les mots de Valéry m'ont haussé au-dessus du simple souvenir.

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