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28 janvier 2019

Le grand Pierrot

Dans le concert de louanges donné en l'honneur de Michel Legrand, on voudrait apporter une note originale, sans être discordante bien sûr, mais rien ne mérite d'être dit : le point commun personnel (le désintérêt pour le rock'n roll), la rosserie par la bande au cinéma de Demy (ses meilleurs films ne sont pas de lui, mais de Michel Legrand), le morceau moins connu, puisé dans Archi-cordes, pour se faire mousser. Quel est le sens de cet exercice nécrologique auquel chacun devrait aujourd'hui s'adonner ?

Parlons plutôt d'un vivant. Vers la fin de sa vie, Michel Legrand avait des difficultés d'élocution qui nuisaient à la qualité de ses récitals vocaux. Pierre Bénichou, entendu par hasard aux Grosses Têtes à deux reprises récemment, semblent souffrir des mêmes. Avouons-le, l'esprit semble aussi moins vif, la répartie moins remarquable d'à propos : il a pris un coup de vieux. Songeant à la fin de cet homme qui a longtemps excellé, quoique très ponctuellement, dans l'hommage aux grands disparus, je me demande qui fera une nécrologie digne de son talent sans œuvre ? Ruquier lui sera fidèle jusqu'au bout, il sait trop ce qu'il lui doit, il sait à quel point cet homme fut drôle. Car oui, Pierre Bénichou est l'un des hommes les plus drôles qui soient, à lui seul il a donné intérêt à des émissions qui n'en avaient guère, et il est à craindre en retour que les obsédés du bon goût aient méconnu son talent. On en revient aux abrutis qui ne voient le beau que dans les belles choses. Qu'il jouât le populo d'un Paris disparu ou le collabo, deux de ses emplois de prédilection, il était irrésistible. Surtout, il était un grand conteur, génial narrateur d'anecdotes personnelles.

Il y a une inconvenance certaine à parler d'un vivant au passé, on me le pardonnera j'espère par le fait que rien de ce qui est écrit ici n'excède la confidence. Je n'ai lu je crois aucun de ses papiers, je n'ai pas lu non plus le livre qui rassemble ses articles nécrologiques, je n'ai pas vu Turf, qu'il a coscénarisé et qui est probablement affligeant, je l'ai aperçu à la télé dans une mauvaise pièce où, au diapason, il jouait fort mal, je n'ai surtout jamais eu la chance de passer avec lui une soirée chez Castel ou ailleurs, et je le regrette car je sais qu'elle aurait été mémorable. Que restera-t-il de ce champion de l'oralité ? Quelques enregistrements de ses morceaux de bravoure improvisés, le souvenir émerveillé de ses compagnons de la nuit : presque rien, quoique l'homme soit admirable, parce qu'il a choisi de tout dilapider dans l'instant. Les si légères mélodies de Michel Legrand paraissent à côté de cela plus durables que l'airain.

 

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