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23 novembre 2018

L'incertitude qui vient des films

Et Una vita difficile (Dino Risi, 1961), l'avais-je déjà vu ? Je me suis posé la question à plusieurs reprises, mais sans pouvoir trancher : je confonds peut-être le moulin où résistant il se cache, mais se cachant ne résiste plus, avec la ferme du Franc-tireur dans le Vercors, le repas en tête à tête de Sordi avec son fils avec une scène de Il giovedi, tourné par Risi trois ans plus tard, l'apparition de Gassman en légionnaire romain avec d'innombrables séquences qui montrent l'envers du décor à Cinecittà. J'arrive à un âge où les souvenirs des films sont si incertains et mêlés que je ne sais plus très bien, si ce que je viens de voir, à la manière des rêves, je ne l'ai pas déjà vu, imaginé ou peut-être même vécu. Lea Massari dans le film ne se dévêt point, mais l'eût-elle fait que ma mémoire n'en eût peut-être pas été impressionnée : elle est une de ses rares actrices en qui je ne cherche point les traces de sa splendeur passée, mais au contraire les signes annonciateurs de l'apogée tardif de sa beauté, quand la belle quadragénaire un peu lasse resplendit, comme dans La Femme en bleu de Michel Deville. Non, je crois tout de même que je ne l'avais jamais vu. J'aime pour dire le temps passé dans le moulin, où il ne devait rester qu'une nuit, ce plan sur le jambon pendu au plafond dont il ne reste plus que l'os. Figurer le temps, voilà qui demande de l'intelligence. Je pense au cardinal de Retz qui relate la cruauté de son geôlier : il a planté délibérément des asperges parce qu'il sait qu'il faut attendre trois ans pour obtenir une première récolte, et il marque ainsi au cardinal que sa détention sera longue. Una vita difficile n'est pas très drôle, les malheurs qui frappent Silvio Magnozzi n'ont rien d'amusant, rien non plus de très émouvant puisqu'on ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait pu les éviter en étant moins veule, et plus malin. Les underdogs des films d'Apatow et consorts ont plus d'esprit, moins de convictions, ils tombent amoureux d'une femme trop belle pour eux et pour la conquérir se mettent au travail. Ces films s'exténuent dans un happy ending un peu décevant, d'un tragique dont la fatalité ne conduit pas à la mort, mais à la fin de l'histoire. Dans Una vita difficile, tout est compliqué, comme dans la vie, Magnozzi refuse l'argent, ennemi de la fiction — on paie pour être quitte, pour n'avoir pas d'histoire, c'est-à-dire ni problème, ni durée —, et le film s'achève par un coup de poing moralement juste. On parle souvent de film coup de poing pour dire la sidération du spectateur KO dans son fauteuil ; ici, c'est bien mieux, puisqu'il est euphorique comme s'il avait lui-même asséné le puissant crochet.

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