Incorporer sana

Je m'étais dit qu'un jour j'écrirais une note pour dire les bienfaits ponctuels de la maladie, pour décrire cet état d'incapacité déculpabilisant où l'on ne peut rien faire qu'imaginer ce qu'on fera quand on sera guéri, pour raconter les effets positifs de la fièvre sur l'intelligence, qui, libérée de l'obligation d'agir et stimulée par un réflexe physiologique, produit des fruits hors du commun. J'avais pour illustrer ces profits de la maladie une anecdote remarquable sur mon record de lignes à Tetris, au temps du collège, atteint alors que la grippe m'avait cloué au lit et emmené dans une sorte de transe. Mais voilà, cela fait bien un mois que je tousse, j'ai d'abord accusé une allergie, puis la fatigue consécutive au rangement de plusieurs stères de bois, le mal semblait localisé dans les sinus, je le voyais descendre et j'imaginais que bientôt je n'aurais plus qu'à l'expectorer, mais il est remonté et me condamne depuis hier à une anosmie et une agueusie à peu près totales. Cela m'a permis de boire du café, que je ne prise guère, mais m'a fait ignorer jusqu'à la lie le morceau de peinture à la craie tombé dans ma tasse où il avait infusé. La toux fatigue, je m'en accommodais en me convainquant qu'elle était une réaction positive de mon corps, mais j'ai perdu confiance en son intelligence : pourquoi celle-ci serait-elle plus infaillible que l'intelligence du cerveau, et d'ailleurs en diffère-t-elle ? Toutes les maladies humaines sont psycho-somatiques, ce n'est pas les minimiser que de dire cela, c'est admettre le rôle du cerveau jusque dans les maux les plus triviaux. L'allergie n'est peut-être que la conséquence d'un défaut d'intelligence, qui interprète mal la menace causée par un agent extérieur : une fiction malheureuse. Je suis un esprit sot dans un corps sot, et je me résous aux extrémités : médecin, pharmacie, sanatorium.