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26 octobre 2018

Paperasserie

Aux fortes pluies récentes le toit n'a offert qu'une résistance imparfaite, un tas de vieux papiers a pris l'eau ; parmi eux je retrouve des feuilles de brouillon contenant des embryons de notes datant d'il y a presque quinze ans. Ces feuilles sont les plus mal commodes qui soient, elles remontent à la préhistoire de l'informatique, sont imprimées par endroits de suites inintelligibles de lettres et de chiffres, qu'on gagne à contourner plutôt qu'à recouvrir, leur format est impossible, elles sont pliées en accordéon et on ne sait jamais si ce feuillet est le verso ou le recto de celui-là. Longtemps, elles ont constitué le brouillon de la maison, colossal butin d'une des rares tentatives risquées par mon père dans le monde du salariat. Le fonds s'est finalement épuisé, mais j'ai gardé l'habitude de conserver du brouillon en grande quantité, comme si un jour le papier pouvait venir à manquer, comme si une ramette de feuilles blanches ne valait pas moins qu'un kilo d'abricots. J'accumule les stylos de la même façon, alors qu'il est si rare qu'on les épuise. Il est vrai qu'on les égare plus volontiers.

Je vais donc, avant de jeter cette paperasse encombrante, publier ici son contenu le moins insignifiant. Je n'ai pas tout relu, mais cela représente très peu de choses, en qualité plus encore qu'en quantité. C'est d'ailleurs sans importance, puisque l'entreprise n'a pas pour but de sauver quelque chose, mais tout au plus de le faire disparaître par un autre moyen. C'est une manière surtout de retrouver le jeune homme que j'étais, de ne pas me contenter à son égard de jugements excessifs, exagérément sévères ou complaisants. Au milieu de notations sans intérêt, j'ai retrouvé une citation de Pierre Janet assimilant les débuts de l'humanité à la narration. Je n'ai pas lu Janet à l'époque, je ne sais pas où j'avais trouvé cette phrase, aucune origine n'est indiquée, je n'en avais gardé aucun souvenir quand je l'ai relue le mois dernier et qu'elle a servi d'aliment, longtemps remâché, à ma réflexion présente. À vrai dire, je l'avais peut-être remâché pendant quinze ans sans en avoir conscience et cette découverte a eu quelque chose de vertigineux, comme si je l'avais notée alors à l'intention de mon moi actuel. "Mon moi actuel" : voilà bien une expression que le jeune homme que j'étais aurait sévèrement jugée.

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