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1 avril 2018

Le zombie

Après la mort de mon grand-père, il a fallu vider la maison familiale avant de la vendre. J'ai récupéré quelques livres, un peu par sentimentalisme, un peu par bibliophilie. Parmi eux se trouvait Le Zombie, de Francis de Miomandre, qui n'était pas mon premier choix. Le nom de l'auteur, en plus de sonner bien, m'était familier, sans que je sache au juste où je l'avais rencontré. Je ne l'avais jamais lu, je réparai la faute, disons le temps perdu ailleurs (dans Albertine disparue, Proust emploie l'expression « réparer le temps perdu » ; le temps retrouvé aurait-il pu n'être que réparé ?). C'était il y a sept ans, et lisant cette note de Tlön hier, j'étais bien en peine de me remémorer quoi que ce soit du roman.

J'ai retrouvé le livre immédiatement, sans le chercher. La journée, commémoration d'une résurrection fameuse, se prêtait bien à sa relecture, à la lumière de ce que Tlön avait fait connaître de sa relation à Lydia Cabrera. Le roman donne l'impression d'être raté : le zombie sort d'une tombe d'exposition à la foire de Paris, les personnages, nombreux, se révèlent liés par des liens improbables et artificiels, et l'auteur ne semble croire ni aux uns ni aux autres. À son crédit tout de même, des réflexions sur le rêve qui toujours révèlent un écrivain soucieux des fondements de son art. Le zombie n'est-il pas comme un personnage rêvé par le sorcier et rêvé, en concurrence, par Sylvia ?

Sylvia, peut-être, est-elle reflet de Lydia Cabrera. Elle n'est certes pas cubaine, mais porto-ricaine, ces Antilles sont grandes, mais le monde est petit, à Montmartre surtout. Si cette phrase vous paraît obscure, lisez Le Zombie. Il s'ouvre par une exergue orientale : « Celui qui a été vivifié par l'amour ne mourra pas. / Par notre tendresse, ô mon bien-aimé, / Nous avons gagné le Paradis ». Et se clôt par ce dialogue : « — Une autre fois, nous serons plus heureux. Dors ! — Je dors. » Hypothèse : cette novatrice histoire de zombie serait un hommage de Miomandre à la femme qui l'avait initié à ce mystère, un hommage à celle dont l'amour l'a comme ressuscité, un hommage à un amour ambigu, platonique, d'outre-océan et d'outre-tombe.

Oublions donc le bel inverti, le méchant Anglais, la captive aux yeux clairs et cette scène assez pénible où l'intrigue se résout, ils n'étaient que prétexte. L'écrivain est pareil au zombie, il les sert tour à tour uniquement par devoir, par obéissance à quelque puissance supérieure. Appelons-la narration. Le rêveur lui est aussi soumis. Et je m'endors en songeant à mon grand-père adolescent lisant ce livre, à sa santé fragile attaquée par la fièvre typhoïde, à son premier fils qu'il baptisa Francis, au mien qui a pris plaisir hier soir à ce que je lui en lise quelques pages, bien mystérieuses pour ses deux ans, et à mon deuxième fils, qui va naître, bientôt, et qui un jour lira, peut-être, Le Zombie.

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