Journalistes
Je suis enfin venu à bout du Journal de Michel Leiris, bêtement fidèle à ce principe qu'un livre commencé, comme tout comestible, doit être terminé aussi mauvais soit-il (mais la vie est ainsi, n'est-ce pas ?). Il entre aussi là-dedans quelque esprit sportif — si les ennemis du sport me passent l'oxymore —, qui m'oblige à signaler une entorse à la règle : j'ai fait systématiquement l'impasse sur les récits de rêve, ayant très peu de goût pour le genre — il faut ici me passer l'euphémisme.
Il me semble que la prédilection pour la lecture des écrits intimes croît avec l'âge, la clairvoyance et la mansuétude. La découverte d'œuvres ambitieuses, qui cherchent à vaincre le temps et qui souvent ratent leur coup, finit par lasser ; on se complaît , un peu par défaitisme, un peu par lucidité — ne feraient-ils qu'un ? — dans la lecture des journaux intimes. C'est la mort qui y est à l'œuvre bien plus que l'écrivain ; lui vieillit, souffre, s'étiole et tient équivoquement le compte de ses amis disparus. On compatit, conscient de l'amolissement pareil de nos chairs, un peu moins de l'affaiblissement de notre esprit ainsi soumis.
Il va de soi que le genre compte quelques chefs d'œuvre, mais les trois journaux intimes que le hasard plaça entre mes mains ces derniers mois, ceux de Michel Leiris, de Jean Chalon et de Michel Polac, n'étaient pas du nombre. Journal d'un arbre, s'intitulait celui de Chalon, et de penser avec tristesse à tous ceux abattus pour imprimer ces platitudes parfois très bêtes. Polac a pour lui quelques atouts : il est hypocondriaque, dépressif, obsédé sexuel et antipathique. Surtout : il ne s'essaie pas à la poésie, dont on pourrait espérer quelques étincelles même involontaires de génie, de vie, mais dont les tentatives ne sont que risibles chez Chalon, pathétiques chez Leiris. De ces milliers de pages, combien de lignes à sauver ? Messieurs, vous êtes venus trop tôt : un blog aujourd'hui vous offrirait l'oubli juste et immédiat que méritent ces écrits surnuméraires.