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19 novembre 2009

Dans le siècle

Arrivé à la page 70 de Cent ans de souvenirs... ou presque, j'ai commencé à penser que Raoul Gunsbourg, directeur de l'Opéra de Monaco de 1892 à 1951, me baladait et que le « presque » se rapportait peut-être plus aux souvenirs qu'aux cent ans. Je n'étais pas particulièrement fier de moi, Gunsbourg ayant eu le temps en soixante-dix pages de provoquer par sa malice, pendant la guerre russo-turque, la prise de Nicopoli, alors qu'il n'était qu'infirmier, de devenir un familier du Tsar et de toute la noblesse russe pour avoir un jour jeté sa belle pelisse en fourrure aux pieds, dès lors épargnés de la boue, d'une grande dame, de rivaliser d'esprit et de parler théâtre avec Léon XIII, qui aimait Sarcey mais pas la tragédie, de sauver enfin, par pitié pour sa mère, le jeune Lénine compromis dans un complot révolutionnaire.
Mais page 70, chargé de mission militaire par Alexandre III, on ne sait trop à quel titre, puisqu'on le connaît simplement directeur de théâtre et qu'on ignore, quel zèle dans l'astreinte au secret médical !, qu'il est médecin personnel du tsar, Gunsbourg part en expédition dans le Pamir et donne de l'Asie une description à la fantaisie toute antique. On doute alors, mais pas longtemps, car tout reprend ensuite un cours plus raisonnable et parce qu'on n'accorde pas au pacte autobiographique une dévotion de khâgneuse. On tique bien un peu quand on croise Tolstoï, qu'il ignore être écrivain, et qui semble n'être là que pour permettre une anecdote inouïe et un coup de griffe à Wagner, mais on croise tellement de monde ! Caruso, Massenet, Saint-Saëns, Tita Ruffo, Garnier, Emma Calvé dont la tombe est toute proche de celle de mon grand-père, Gounod, Ravel, Chaliapine, Honneger, le duc d'Oldenbourg, philanthrope fondateur du plus grand hôpital de Saint-Pétersbourg, particulièrement prévenant pour un patient atteint de priapisme et demandant au médecin à la fin de la visite, malicieux : « C'est contagieux, n'est-ce pas ? ».
Toutes ces esquisses sont délicieusement vivantes et on imagine avec joie Tchaikovsky faire mine tous les soirs d'allumer sa cigarette au nez de Moussorgski ivre mort, ou Saint-Saëns, de retour chez lui, trouver son perroquet entièrement plumé par son singe, le volatile répétant l'antienne apprise de la bouche des habituels convives : « Charmante soirée ! Charmante soirée ! ».
La rencontre avec Oscar Wilde à nouveau fait douter, mais qu'importe !, l'affabulateur a de l'esprit et des amis qui en ont aussi. Et c'est ainsi que le bœuf fut sur le toit.

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